Xavier Conus
Résumé
Outil majeur des politiques d’encouragement précoce, les mesures de soutien à la parentalité concernent une multiplicité d’instances, aux ancrages divers, soulevant d’importants enjeux de collaboration et de coordination. Notre recherche vise à comprendre l’articulation du réseau du soutien à la parentalité de jeunes enfants dans un canton de Suisse romande, et à en saisir les défis. Si des collaborations fructueuses existent dans la pratique, il en ressort la nécessité d’une coordination accrue des initiatives nées du terrain, par la mise en place d’un environnement institutionnel favorable.
Mots-clés : soutien à la parentalité; petite enfance; travail en réseau; collaboration; posture professionnelle.
The Delicate Articulation of the Early Childhood Parenting Support Network in a Swiss Canton
Summary
Parenting support measures are a major tool in early years policies, involving a multiplicity of bodies with different backgrounds, which raises major issues of collaboration and coordination. The aim of our research is to understand how the early childhood parenting support network in a canton in French-speaking Switzerland is articulated, and to grasp the challenges involved. While fruitful collaborations exist in practice, the need for greater coordination of the initiatives arising from the field, through the establishment of a favourable institutional environment, emerges.
Keywords: parenting support; early childhood; networking; collaboration; professional stance.
1 Introduction
À l’image de ce qui s’observe ailleurs (Martin, 2014), les mesures de soutien à la parentalité occupent aujourd’hui en Suisse une place importante dans la mise en œuvre des politiques dites d’encouragement précoce, à côté des offres d’accueil extrafamilial et des mesures d’aménagement des lieux de vie (OFAS, 2018). À partir d’entretiens semi-dirigés menés avec les responsables d’instances associatives,
étatiques et libérales impliquées dans ces mesures, nous cherchons à comprendre comment s’articule le réseau du soutien à la parentalité de jeunes enfants âgés de 0 à 8 ans au sein d’un canton de Suisse romande, et à en saisir les défis inhérents.
2 Cadre théorique
2.1 L’émergence des mesures de soutien à la parentalité
Si le psychiatre Paul-Claude Racamier (1961) y recourait déjà, l’intérêt plus large pour la notion de parentalité a émergé à partir des années 1980. Il traduit un intérêt croissant porté aux caractéristiques et qualités appelées à accompagner le fait d’être parent (Pothet, 2014), dans un contexte de report de responsabilité d’enjeux sanitaires, sociaux et scolaires en direction des parents (Neyrand, 2011). Dès la fin des années 1990 émerge son corollaire, le soutien à la parentalité: les parents – et particulièrement certains groupes de parents – deviennent la cible de politiques et/ou de mesures visant à renforcer leurs compétences en vue de favoriser la trajectoire développementale et scolaire de leurs enfants, avec l’objectif de lutter ainsi contre les inégalités socio-éducatives (Frazer et Marlier, 2014).
Il n’est pas aisé de donner une définition univoque du soutien à la parentalité. À partir d’un état des lieux sur les politiques menées en Europe, Daly (2013) le définit comme l’ensemble des «services et prestations organisés en vue d’influencer la manière dont les parents s’acquittent de leur rôle en leur donnant accès à une série de ressources qui visent à accroître leurs compétences en matière d’éducation et de soin des enfants» (Daly, 2013, p. 162)1. On y retrouve des mesures de promotion universelle de pratiques jugées favorables au développement de l’enfant, de prévention ciblée sur des groupes de parents en fonction de facteurs de risque (situation de précarité, trajectoire migratoire, monoparentalité, etc.), et de protection imposée à des parents dont les pratiques sont jugées délétères pour l’enfant (Lamboy, 2009). Daly (2013) souligne en outre l’existence, selon les contextes nationaux, de politiques et de mesures disparates. Ce sont là de premiers facteurs de la complexité du domaine du soutien à la parentalité.
2.2 Une diversité d’ancrages
Un autre facteur de la complexité du domaine du soutien à la parentalité réside dans la diversité d’ancrages théoriques et disciplinaires des professionnel∙le∙s impliqué∙e∙s. Cette diversité traduit un élargissement, ces dernières décennies, des pratiques parentales concernées par l’information adressée aux parents, sur la base de découvertes issues de la recherche en éducation familiale ou en
travail social, mais aussi de la psychologie développementale et plus récemment des neurosciences (Daly, 2013). Elle est aussi le signe d’une approche globale de la petite enfance, dans laquelle les questions des soins, de l’éducation, des apprentissages ou du soutien social accordé aux enfants et à leurs familles ne peuvent être dissociées (Van Laere et al., 2012). Le domaine du soutien à la parentalité croise dès lors les champs professionnels de l’éducation, du travail social, de la psychologie ou encore de la santé.
Dans la petite enfance en particulier (Hafen et Meier Magistretti, 2021), le panel des professionnel∙le∙s concerné∙e∙s reflète ces différents champs. Cardi (2015) relève à ce propos une ancienneté accrue de l’action de soutien à la parentalité assurée par les professionnel∙le∙s de la santé et de la psychologie. Les infirmiers et infirmières en puériculture, les sage-femmes, les pédiatres ou encore les psychologues assuraient, sur la base de connaissances psycho-médicales, des formes d’aide et de conseil aux parents bien avant que la notion de soutien à la parentalité n’apparaisse. L’implication accrue de professionnel∙le∙s du travail social et de l’éducation est par contre liée à l’émergence évoquée, depuis les années 1990, de politiques et mesures de soutien à la parentalité s’inscrivant dans un double référentiel d’émancipation et de lutte contre les inégalités socioéducatives.
Appréhender le domaine du soutien à la parentalité dans sa globalité
nécessite donc de considérer l’ensemble des acteurs et actrices mentionnées, même si l’on sait qu’une partie d’elles et eux, dans le champ de la santé notamment, ne se reconnait pas toujours dans ce vocable (Vozari, 2021).
2.3 Le défi d’une double collaboration
La diversité décrite d’acteurs et actrices, de mesures et d’ancrages, ainsi que la complexité des situations rencontrées, soulèvent d’importants enjeux en termes de coordination et d’interdisciplinarité (Hafen & Meier Magistretti, 2021). La possibilité d’une prévention efficace, et en même temps respectueuse des enfants et des familles, nécessite des collaborations entre professionnel∙le∙s à deux niveaux (Collectif Pas de zéro de conduite, 2011). D’une part, il s’agit de veiller à la coordination des interventions, qu’elles concernent les parents et/ou les enfants (Moran et al., 2004). C’est particulièrement important lors de temps de transitions comme celui de l’entrée à l’école (Royen et al., 2020; Ruel et al., 2015). Selon l’échelle de la collaboration théorisée par Larivée (2011), il s’agit là d’un niveau de collaboration intermédiaire, caractérisé par la concertation et la coordination entre les acteurs et actrices. Dans le soutien à la parentalité, certaines situations vont impliquer un travail en réseau des professionnel∙le∙s qui va exiger une collaboration accrue. Consistant à œuvrer ensemble à un objectif
commun, cette collaboration, interdisciplinaire, exige de chaque professionnel∙le∙ d’être capable de s’appuyer sur son ancrage disciplinaire tout en composant avec la multiplicité des références en jeu (Libois & Loser, 2010). On se trouve à un niveau de collaboration supérieur au sens de Larivée (2011), davantage de l’ordre de la coopération et du partenariat, que l’on peut également retrouver lorsque des activités sont mises en place de manière conjointe entre divers acteurs et actrices.
Des fragilités sont constatées dans le soutien à la parentalité en Suisse à chacun de ces deux niveaux de collaboration (Stutz et al., 2016). La petite enfance est particulièrement concernée, du fait d’un travail de collaboration peu ancré dans les descriptifs de fonction et de contacts faiblement institutionnalisés entre professionnel∙le∙s des champs de la santé, du travail social ou encore de l’éducation (OFAS, 2018). Il peut en résulter d’importantes incohérences dans le suivi des familles, potentiellement maltraitantes pour ces dernières (Molénat, 2016). Inversement, une collaboration de qualité favorise la continuité dans l’accompagnement des familles et leur accès aux ressources dans le temps (OFAS, 2018). Le défi de la coordination des actions et de la coopération au sein du travail en réseau émerge dès lors des textes institutionnels, notamment autour de la petite enfance. L’importance d’une coopération de qualité entre les professionnel∙le∙s impliqué∙e∙s autour d’une situation familiale est ainsi soulignée dans le «Cadre d’orientation pour la formation, l’accueil et l’éducation de la petite enfance en Suisse» (Wustmann Seiler & Simoni, 2016). Parmi les recommandations d’une brochure sur les «Aspects et éléments constitutifs d’un travail d’intégration de bonne qualité dans le domaine de la petite enfance» (Réseau suisse d’accueil extrafamilial et Commission suisse pour l’UNESCO, 2014), on retrouve l’importance de la mise en réseau des acteurs et actrices concernées.
3 Le soutien à la parentalité dans le contexte cantonal exploré
En Suisse, et dans le canton exploré en particulier, le soutien à la parentalité est largement du ressort d’organismes associatifs, reconnus et subventionnés à des degrés divers par les cantons et les communes. Ces organismes se rattachent aux champs professionnels de l’éducation, du travail social, de la santé ou de l’éducation spécialisée. Le rôle des instances étatiques consiste avant tout à soutenir l’action de ces organismes et à garantir un cadre d’orientation général. L’état est plus directement actif dans les situations touchant à des enjeux de protection de l’enfance. Même si l’intervention dans le milieu familial est mandatée aux organismes associatifs, c’est ainsi à un∙e intervenant∙e en protection de l’enfance du service ad hoc du canton exploré que revient la charge de suivre la situation et
de travailler en réseau avec les autres professionnel∙le∙s impliqué∙e∙s. En outre, ce service dispose d’une permanence téléphonique pour les parents dont l’action s’inscrit dans une perspective de prévention et, au besoin, de réorientation vers les organismes associatifs. Des acteurs et actrices libérales participent également à soutenir les parents. C’est le cas des sage-femmes, qui accompagnent et conseillent les jeunes parents. L’activité de conseil à la parentalité occupe également une place non négligeable dans les consultations assurées par les pédiatres. Ces professionnel∙le∙s du champ de la santé ont de plus un rôle clé de dépistage des situations jugées à risque pour le développement de l’enfant, et de réorientation vers les organismes associatifs.
4 La recherche conduite et sa méthodologie
Pour saisir l’articulation entre ces divers acteurs et actrices, notre recherche a interrogé les responsables d’organismes associatifs et étatiques ainsi que les représentant∙e∙s de professions libérales intervenant dans le champ du soutien à la parentalité de jeunes enfants (0-8 ans) au sein du canton. Le choix de la tranche d’âge correspond à la définition de la petite enfance proposée par le Comité des droits de l’enfant des Nations unies2. Il fait sens dans le contexte cantonal exploré étant donné les usages qui y prévalent. La sollicitation des responsables et représentant∙e∙s a eu pour critère de croiser les divers champs professionnels d’appartenance précédemment mentionnés, dans une appréhension large du soutien à la parentalité conforme à la définition de Daly (2013). Le tableau 1 donne des indications sur les 10 instances3 (6 associatives, 2 étatiques et 2 libérales) qui ont été impliquées dans la recherche. Le chercheur s’est engagé à un principe de respect de la confidentialité des données. Par contre, du fait de leur statut, les répondant∙e∙s ont été informé∙e∙s de l’impossibilité de pleinement garantir leur anonymat, des personnes avec une connaissance fine du domaine du soutien à la parentalité cantonal pouvant éventuellement les reconnaître. Elles et ils se sont engagés en connaissance de cause. Pour diminuer le risque de reconnaissance, la décision a tout de même été prise de ne pas indiquer le contexte cantonal concerné dans le cadre de cet article.
Conduite au moyen d’entretiens semi-dirigés (Savoie-Zajc, 1997) et selon une démarche compréhensive (Charmillot & Dayer, 2007), la recherche vise à: 1) étudier l’articulation des actions des diverses instances, et en identifier les défis; 2) comprendre la manière d’appréhender le rôle de soutien auprès des parents; 3) explorer la place d’enjeux en lien avec l’entrée en scolarité – y compris lorsque celle-ci se situe dans un futur à long terme – dans l’action de soutien à la parentalité assurée. Cet article se centre sur le premier objectif, étudier l’articulation
du réseau du soutien à la parentalité au sein du canton, et les défis qui la traversent4. L’accent est donc mis sur le niveau intermédiaire de collaboration au sens de Larivée (2011), celui de la concertation et la coordination des actions.
L’analyse des données s’est faite selon les trois étapes de la démarche
d’analyse inductive générale de Thomas (2006). Une première phase de condensation des données a été menée, sous forme d’analyse catégorielle thématique du contenu des entretiens. Cela nous a conduit à la deuxième étape, celle de la mise en lien des résultats obtenus avec notre objectif de recherche, en l’occurrence celui de comprendre l’articulation du réseau du soutien à la parentalité au sein du canton. À partir de là, la troisième étape a consisté à en développer un modèle d’interprétation, qui nous mène à présenter nos résultats selon deux niveaux d’articulation repérés, avec des enjeux et dynamiques propres: 1) entre les instances associatives; 2) au sein du réseau large incluant les instances associatives, étatiques et libérales.
5 Premier niveau d’articulation: entre les instances associatives
5.1 Une collaboration globalement fonctionnelle
Entre instances associatives, il existe le constat partagé d’une collaboration, au niveau de la coordination des actions, globalement fonctionnelle et de qualité. Plutôt que d’être née d’une incitation d’une instance tierce, étatique par exemple, elle est présentée comme ayant émergé du terrain. Son fondement tient à l’interconnaissance et à une complémentarité perçue des actions.
Ici on a une chance de bien se connaître entre partenaires. On peut être des fois sur le même terrain, les mêmes âges, mais on travaille beaucoup en partenariat, par exemple on va alterner dans des familles. (ASS-PUER2)
La complémentarité mise en avant se traduit par des pratiques de réorientation des parents vers une autre instance lorsque celle-ci est perçue comme plus à même de répondre à une situation.
Elle [une mère] nous appelait pour avoir de l’aide, mais dans la discussion je me suis rendu compte que son enfant n’avait pas du tout de problème de développement, c’était juste une étape normale. Je lui ai donné quelques conseils et on a discuté de la possibilité de rappeler plus ASSTSED1. (ASS-EDSPE)
Ces pratiques de réorientation traduisent également un souci exprimé par plusieurs responsables de fixer des limites au champ d’action et d’expertise de leur instance.
5.2 Une collaboration à entretenir
Plusieurs responsables indiquent que cette collaboration ne va pas de soi. Régulièrement, elle exige des démarches actives visant à assurer une coordination des offres et des interventions. ASS-TSED1, ASS-TSED2 et ASS-EDSPE expliquent par exemple avoir mené un important travail conjoint en vue de définir leurs champs d’intervention et d’ainsi garantir la complémentarité de leurs actions. L’attention à cette complémentarité va de pair avec le souci de répondre à la diversité des besoins des parents, et de leur laisser une marge de décision quant à l’offre y répondant au mieux.
On a fait tout un travail, et je crois c’était très important. Et là on a un schéma [de répartition], il y a les critères, et c’est vraiment en fonction du besoin. Et il se peut aussi qu’il y ait une période pour la même famille où c’est ASSEDSPE, et après c’est par exemple ASSTSED2, et des fois c’est aussi une question d’acceptation de la famille, il y a des familles qui peutêtre acceptent volontiers ASSTSED1 mais pas ASSEDSPE, et ils sont aussi acteurs làdedans hein, ce n’est pas seulement nous qui décidons à leur place ce qui est bien pour eux. (ASS-EDSPE)
Ces démarches de coordination entre instances associatives sont décrites comme bénéfiques tant pour leur organisation que pour l’accessibilité des parents aux ressources adaptées à leur situation. Mais leur mise en œuvre n’est pas toujours aisée. Dans un contexte de ressources limitées, elles nécessitent de prendre le temps de se comprendre, de construire l’interconnaissance évoquée, de s’accorder sur des buts communs, et de réfléchir à comment agir de manière complémentaire en vue de les atteindre.
Il y avait un début vraiment conflictuel. Et après on s’est dit il faut faire avec, pas contre, ça ne sert à rien. Parce que finalement au niveau du but, on a le même, c’est d’améliorer tout ce qui est autour de la parentalité. Alors maintenant, on a eu beaucoup de contacts, et comme toujours, quand on se connaît, ça va mieux. (ASSPUER1)
Aux yeux des responsables, la conduite d’activités conjointes entre instances associatives, lorsqu’elle est possible, joue également un rôle dans l’émergence d’une complémentarité et d’une coordination accrues des actions.
On a commencé à faire des partenariats ensemble, avec des cafés enfantsparents coanimés entre une personne de chez nous et une personne de ASSTSED1. Et cette coanimation a permis à chacun de dire: ‹Ah ouais, ça c’est hyper intéressant ce
qu’elle amène, et viceversa›. […] Et on a vu qu’on avait une approche complémentaire au service de la famille. (ASS-PUER2)
S’il exige un niveau de collaboration supérieur, de l’ordre d’un «partenariat», le fait de mener des activités conjointes entre instances associatives est également perçu comme un moyen de favoriser l’accès aux parents, chaque organisme profitant de la force d’attraction de l’autre. Ce type de collaboration est toutefois relativement rare.
5.3 Des formes de concurrence et d’empiétement
Malgré ces efforts de coordination, des formes de concurrence et d’empiétement sont décrites. Aux yeux des responsables, elles sont favorisées par un environnement dans lequel une part des subventions étatiques est conditionnée à la mise en œuvre de projets spécifiques (dans le champ de l’encouragement précoce, la prévention de la santé, l’intégration, etc.) et innovants (ne pouvant concerner des projets existants). Ce système incite les instances à développer des offres parfois concurrentes en vue d’obtenir «une part du gâteau» (ASSPUER1) des subventions nécessaires à leur action.
L’État favorise beaucoup le développement de nouveautés, plutôt que d’exploiter ce qui existe déjà et de le renforcer. Et au final il y a d’autres acteurs de la santé et de l’éducation qui se retrouvent des fois en porteàfaux avec nous, parce que finalement on a des champs d’activité qui empiètent un peu les uns sur les autres. (ASS-PUER1)
Il en résulte le regret de parfois constater l’arrivée d’autres instances dans ce qui est considéré comme son champ d’expertise.
Maintenant il y a l’encouragement précoce qui est financé, et du coup tout le monde fait de l’encouragement précoce. Et nous, c’est vraiment le cœur de notre travail. (ASS-TSED1)
Bien qu’il semble tenir pour partie au système de subventions étatiques, l’éparpillement des actions qui en résulte est paradoxalement dénoncé par la personne responsable d’une des instances étatiques, dans un reproche qui semble adressé en direction des instances associatives.
Je suis toujours parti du principe qu’avant de créer de nouvelles offres, qui après ne sont pas coordonnées, parce qu’on voit plein de besoins et on crée plein de petites
offres et structures qui ne discutent pas ensemble, moi j’ai toujours plutôt dit il faut renforcer ce qui existe déjà, et ce qui fonctionne bien. (ETA-PE)
Cet apparent paradoxe tient à une interprétation différente des raisons à l’éparpillement constaté. La personne de l’instance étatique y voit la conséquence d’une volonté excessive de la part des instances associatives de multiplier les offres, et un manque de coordination de leur part, sans évoquer le rôle joué par le système de subventions étatiques, dénoncé par les responsables associatifs.
5.4 Une diversité d’ancrages et de visions
Pour autant, les responsables associatifs ne considèrent pas que l’existence de formes de concurrence et d’empiétement entre les actions de leurs instances tienne uniquement au processus d’octroi des subventions étatiques. Plusieurs y voient le révélateur de visions parfois divergentes vis-à-vis d’un même objet, celui de la fonction parentale, du fait de la diversité des champs professionnels et des ancrages disciplinaires.
C’est aussi parce qu’il y a une diversité de postures éducatives, ça fait aussi qu’on n’est pas tous d’accord sur ce qu’on devrait faire, et qu’on propose différentes choses. (ASS-TSED1)
Les empiétements tiennent également aux recouvrements qui existent entre les champs de la santé et de l’éducation – et donc entre l’action des instances actives dans ces champs – quand il est question de soutien à la parentalité.
Nous on est dans le domaine de la santé, mais au final on est les généralistes de la petite enfance. D’autres parlent d’abord d’éducation, mais comme nous on parle de santé avec un grand S, de façon très large, elles parlent d’éducation avec un grand E, de façon très large aussi. (ASS-PUER1)
Ces différences d’ancrages disciplinaires et professionnels autour d’un même objet amènent les instances associatives à proposer des offres qui parfois entrent en concurrence, dans une volonté de proposer une alternative con forme à son approche.
Des divergences de visions entre des instances dont les ancrages semblent proches peuvent aussi contrarier la collaboration quand celle-ci prend la forme d’un partenariat autour d’une activité commune. C’est la situation rencontrée par deux instances du travail social, ayant décidé d’abandonner
la conduite conjointe d’un atelier de préparation à l’entrée à l’école à destination de parents issus de la migration, du fait de divergences quant au caractère prescriptif du discours à adresser aux parents.
Ça fait partie de notre concept d’amener les parents à plus de compétences, avec des notions de comment on gère les frustrations, comment on pose les règles, qu’estce qui est important, pas important. Mais ça créait beaucoup de stress chez eux, qui se trouvaient face à une manière de faire qui ne correspondait pas à leur modèle. Là on est dans un clash de visions. (ASS-TSINT)
Si on est dans l’accompagnement comme on essaie de le faire, on regarde avec le parent quelles sont ses idées éducatives, et on travaille avec ses ressources, à en faire quelque chose de constructif, en partant de ses idées. Si je dis à un parent non il ne faut pas faire comme ça, il faut faire comme ça, il doit appliquer quelque chose qui ne lui appartient pas. (ASS-TSED1)
Ainsi, au-delà d’une collaboration globalement perçue comme étant fonctionnelle et de qualité entre les responsables des instances associatives, des différences d’ancrages et de visions compliquent parfois la possibilité de travailler de concert, y compris au sein d’un même champ professionnel.
6 Deuxième niveau d’articulation: entre instances associatives, étatiques et libérales
6.1 Une qualité de collaboration «personne-dépendante»
6.1 Une qualité de collaboration «personne-dépendante»
Au sein du réseau plus large, incluant les instances associatives, étatiques et libérales, de nombreuses pratiques de collaboration sont également évoquées. Par exemple, l’existence de pratiques de transmission de situations, plus rarement d’accompagnement conjoint, sont mentionnées entre sage-femmes et instances de puériculture. Les pédiatres sont également décrits comme jouant un important rôle de réorientation des parents en direction des instances associatives du domaine de la santé, mais aussi de l’éducation spécialisée ou du travail social. La personne responsable d’une instance associative du champ du travail social et de l’éducation familiale (ASS-TSED1) souligne encore l’ouverture des pédiatres à l’organisation par son personnel d’activités de soutien à la parentalité au sein des cabinets.
Néanmoins, dans ce réseau plus large, l’existence et la qualité des collaborations sont décrites comme davantage fluctuantes, dépendant des personnes impliquées et de leur volonté. Le constat est relevé par des répondant∙e∙s d’instances aussi bien associatives que libérales.
Un organisme avec qui on travaille beaucoup, ce sont les puéricultrices, mais c’est très sagefemme dépendant. (LIB-SAGE)
Il y a des personnes vraiment qui soignent ça, qui mettent l’accent làdessus, et d’autres qui s’impliquent moins. (ASS-EDSPE)
Dans le même sens, la personne représentant les pédiatres souligne que le degré d’engagement de ses collègues dans les collaborations va dépendre de leur vision de la place à donner au soutien à la parentalité dans leur activité professionnelle, en fonction de facteurs personnels, générationnels ou liés à la formation reçue.
La génération des pédiatres actuels, on a dans la formation cette dimension venue du modèle biopsychosocial. Mais après ça va dépendre clairement du désir de chaque pédiatre, de la fibre aussi de chaque pédiatre par rapport à ça. (LIB-PEDI)
Cette collaboration «personne-dépendante» est également évoquée à propos des situations de protection de l’enfance, dans lesquelles un∙e professionnel∙le de l’acteur étatique ETA-PE a la charge de la situation. Plusieurs responsables associatifs relèvent des différences importantes de pratiques de collaboration en fonction des professionnel∙le∙s impliqué∙e∙s.
Tout à coup on est un peu oublié dans l’histoire, et on se dit tiens, ça fait des mois qu’on accompagne la situation, ils organisent un réseau et ils ne pensent pas à nous. Ce qu’on voit c’est qu’il y a des intervenants qui ont très bien intégré notre travail, mais qu’il y a un turnover important, beaucoup de personnes qui commencent et qui découvrent le réseau et ne savent pas vraiment l’utiliser. (ASSPUER2)
Globalement, si des collaborations de qualité sont ainsi décrites entre professionnel∙le∙s des instances associatives, étatiques et libérales, elles semblent revêtir un caractère davantage aléatoire et moins systématisé qu’entre les instances associatives.
6.2 Des problèmes de méconnaissance et de non-reconnaissance
Un facteur explicatif relevé est un manque d’interconnaissance, qui contraste avec l’interconnaissance développée entre instances associatives. Des répondant∙e∙s des instances associatives, libérales et même étatiques indiquent ainsi insuffisamment connaître la diversité des acteurs et actrices ainsi que de l’offre de soutien à la parentalité dans le canton.
La connaissance dans le réseau est mauvaise. On a participé à des journées par rapport à la petite enfance. On a l’impression de partir de zéro. Quand la journée commence par expliquer aux autres qui on est et où on travaille, je me dis qu’il y a un problème. (ASS-TSED2)
On est emprunté des fois, on ne sait vers qui envoyer, estce que ça va pour ce type de problème, parce qu’on ne les connait pas en détail, on n’a pas tout le temps des échanges. (LIB-PEDI)
Il y a des choses qui sont des fois développées […] et nous on apprend par la bande […] qu’il y a quelque chose qui est développé. (ETA-PE)
Dans ce contexte, la possibilité pour les professionnel∙le∙s de collaborer de façon opportune dépend largement des connaissances interpersonnelles, renforçant le caractère «personne-dépendant» des collaborations instaurées.
Fréquemment, ce sentiment d’une méconnaissance au sein du réseau va de pair avec un second constat, exprimé là encore tant par des répondant∙e∙s des instances associatives, libérales qu’étatiques. Il s’agit du sentiment d’être insuffisamment ou incomplètement reconnu dans l’action de soutien à la parentalité mise en œuvre, que ce soit par les autres acteurs et actrices, par les parents ou par la population en général. Certains responsables associatifs et étatiques d’instances actives dans les situations de protection de l’enfance regrettent par exemple que la dimension préventive du soutien qu’ils apportent aux parents soit déconsidérée.
C’est une méconnaissance de la possibilité qu’on offre du suivi sans mandat. Parce que peutêtre comme c’est présenté aux parents, c’est on va prendre contact avec ETAPE. Et dans l’esprit des gens c’est immédiatement placement d’enfant, justice, etcetera. (ETA-TEL)
La personne responsable de l’une des instances du champ de la puériculture estime que c’est la dimension de son action touchant à la relation éducative parent-enfant qui est insuffisamment reconnue.
Là maintenant depuis quelques années, on essaie toujours de mettre [le nom] puériculture – consultation parentenfant. (ASS-PUER1)
Du côté de la personne représentant l’instance libérale des sage-femmes, le sentiment de non-reconnaissance tient à un décalage perçu entre le sentiment
d’avoir un rôle essentiel à jouer au sein du réseau du soutien à la parentalité cantonal et le fait de ne pas toujours se sentir considéré comme tel par d’autres instances.
Il y a encore une grande ignorance de qui on est et de ce qu’on fait. Pour exemple, le réseau petite enfance, on a dû se battre pour dire on est là, on existe et on veut en faire partie. (LIB-SAGE)
Un besoin de renforcer l’interconnaissance entre instances associatives, étatiques et libérales, et par-là la reconnaissance du rôle de chacune et chacun, est ainsi exprimé de manière généralisée par les responsables et représentant∙e∙s rencontré∙e∙s.
6.3 Un renforcement de la coordination qui fait débat
Un constat partagé émerge quant à l’importance d’œuvrer à une coordination renforcée au sein du réseau. Toutefois, la manière d’y parvenir divise. Une première divergence concerne le regard porté sur l’offre. Les personnes représentant les instances libérales et les responsables étatiques portent un regard critique sur la multiplicité et le morcellement de l’offre qui caractérisent le soutien à la parentalité dans le canton.
Ce sont beaucoup d’initiatives individuelles qui se développent à gauche à droite, mais il n’y a pas assez de systématique. (LIB-PEDI)
On va regarder sur internet et on trouve une liste de quinze services, on ne sait déjà pas où commencer. (ETA-PE)
Du côté des responsables associatifs, le regard est plus nuancé. Au-delà d’un constat partagé sur les défis de lisibilité et de visibilité que l’entrecroisement et la multiplicité des actions entraînent, la diversité de l’offre est davantage vue comme une force, qui permet aux parents de choisir ce qui leur paraît le plus approprié à leurs besoins.
Je pense qu’il faut faire attention à ne pas avoir trop de doublons, mais en même temps d’avoir une diversité d’acteurs cela permet aussi aux familles de choisir finalement. (ASS-TSED1)
Les responsables associatifs y voient aussi un résultat de la logique bottomup qui fait, à leurs yeux, la force du soutien à la parentalité dans le canton. Ils attribuent
à ce système où les mesures émergent du terrain, et où le rôle de l’état se limite à soutenir leur développement et leur accessibilité par les parents, des qualités d’adaptation, de réactivité et de proximité des publics et de leurs besoins, qu’ils considèrent caractéristiques du monde associatif. C’est pourquoi ces responsables se montrent réticents à une coordination accrue qui se ferait topdown, par les instances étatiques.
Il y a un génie au niveau des associations, en particulier [dans ce canton], une réactivité, une adaptation, une agilité franchement assez extraordinaire. Et ça c’est quelque chose à maintenir. Parce que ce n’est pas l’appareil étatique qui va pouvoir le faire, c’est antinomique, ça ne marche pas, il ne peut pas réagir comme ça, on le voit. (ASS-TSINT)
Cette vision se trouve d’ailleurs partagée par les responsables étatiques rencontrés. Tout en soulignant la nécessité d’une coordination renforcée, ils ne remettent pas en question la dynamique bottomup.
Moi j’aime ces approches bottomup, je n’aime pas trop quand ça vient d’en haut et que ça doit être appliqué, que ça a été imaginé par des grands stratèges ou des gens éloignés de la base depuis trop longtemps. (ETA-PE)
C’est uniquement de la part de personnes représentant les instances libérales qu’une vision davantage centralisatrice émerge parfois comme une réponse attendue aux difficultés de coordination.
Il faudrait une structure qui sait où sont les offres, quelles sont les offres, où estce que ça manque, où estce qu’il faut développer ça ou ça. […] il faut qu’il y ait quand même un chef qui fasse tourner le schmilblick. (LIB-PEDI)
Les responsables associatifs aussi estiment que les instances étatiques ont un rôle à tenir en vue de renforcer la coordination des actions sur le terrain et d’éviter les formes de concurrence et d’empiétement constatées. Mais plutôt que d’imposer une coordination par le haut, ils considèrent ce rôle comme de favoriser la coordination des instances du terrain par la définition d’une direction politique claire autour du soutien à la parentalité, par une attention à entretenir la dynamique et l’interconnaissance du réseau, par une communication renforcée et centralisée de l’offre, et par un soutien des acteurs et actrices sur le long terme plutôt que par appels à projets innovants.
7 Discussion des résultats
Dans un contexte où la responsabilité des mesures de soutien à la parentalité est avant tout du ressort d’instances associatives, leurs responsables décrivent l’existence entre elles de pratiques de collaboration jugées fonctionnelles et satisfaisantes. Celles-ci portent principalement sur la coordination des actions. Pensée et construite au niveau du terrain, cette coordination ne va toutefois pas de soi. Elle demande d’entretenir des collaborations actives, dans un contexte de ressources humaines et temporelles limitées. D’autant que cette collaboration est faiblement soutenue par les instances étatiques, dont les subventions se centrent sur les projets d’action. Dans ces circonstances, la collaboration se base largement sur des logiques de bonne volonté (Cottin-Marx, 2021) et de motivation intrinsèque (Narcy, 2013) qui prévalent dans le secteur associatif, au risque que puissent progressivement émerger des formes d’épuisement susceptibles d’engendrer un retrait du travail collaboratif. Outre le fait de la soutenir peu activement, les instances étatiques fragilisent directement la coordination des actions entres instances associatives par un système de subventions partiellement conditionnées au développement de projets spécifiques et innovants. Suscitant les formes décrites de concurrence et d’empiétement des actions, ce système s’inscrit dans une logique actuelle de «gouvernance quasi-marchande [qui] met en concurrence les différents prestataires potentiels à travers des mécanismes incitatifs mis en place par la puissance publique» (Mossé et al., 2008, p. 33). Des effets délétères de cette approche sur la qualité des environnements offerts aux enfants, aux parents et aux professionnel∙le∙s qui les soutiennent sont pourtant dénoncés (Vandenbroeck et al, 2023). Elle va de pair avec une dynamique de sous-traitance (Battaglini & Dunand, 2005), dans laquelle les besoins sont définis par les instances politiques, et où le rôle que pourrait avoir l’acteur associatif, par sa fine connaissance du terrain, de détection et d’adaptation aux besoins réels des parents, se trouve marginalisé. Cela mène à penser qu’un renforcement qualitatif de l’articulation du champ du soutien à la parentalité dans le canton exploré nécessiterait de privilégier, ainsi que le demandent les responsables associatifs, un subventionnement des acteurs et actrices sur le long terme.
Entre instances associatives, la collaboration et la complémentarité
des actions se heurtent aussi à une diversité de positionnements au regard des pôles de référence identifiés par Martin (2014) comme constitutifs «des luttes idéologico-institutionnelles» (p. 15) qui traversent le soutien à la parentalité: un pôle de la santé publique qui favorise les principes de protection de l’enfant et de prévention précoce prédictive – détection des risques – au sens de Parazelli (2020); un pôle de l’intégration sociale qui, dans une logique de prévention au contraire prévenante,
privilégie un accompagnement horizontal des parents (Séraphin, 2013) fondé sur l’échange d’expertises et le développement de leur pouvoir d’agir (Girard et al., 2014); un pôle de lutte contre l’exclusion sociale qui, associé à une vision déficitaire des pratiques de certains parents, justifie une posture prescriptive à leur égard (Furedi, 2008). Les tendances observées de positionnements peuvent s’expliquer par les différences d’ancrages professionnels et disciplinaires des instances, mais pas seulement, celles du travail social privilégiant tantôt le pôle de l’intégration, tantôt celui de lutte contre l’exclusion. Elles contribuent au morcellement et au recouvrement des actions menées, en incitant les instances à développer des offres concurrentes mais conformes à leurs approches, ou en les amenant à renoncer à l’organisation d’activités conjointes. À notre sens, la possibilité d‘une collaboration renforcée entre instances associatives exigerait un double travail d’institutionnalisation accrue de la complémentarité des apports, dans une logique interdisciplinaire, et d’établissement d’un socle de principes communs, notamment en ce qui concerne la posture à privilégier dans la relation avec les parents. Il s’agit toutefois là d’un important défi au vu de la diversité des cultures professionnelles en jeu (Libois & Loser, 2010), dans un secteur associatif structuré sur des divisions souvent profondes (Hély, 2009).
Au sein du réseau plus large impliquant les instances associatives, étatiques et libérales, la collaboration et la coordination des actions sont perçues comme fortement conditionnées à la bonne volonté de chacune et chacun de s’engager dans le travail conjoint. Elles revêtent ainsi un caractère aléatoire, «personne-dépendant», du côté des professionnel∙le∙s des instances libérales notamment. Un facteur-clé s’avère y être la place individuellement accordée à la dimension du soutien à la parentalité – pour les pédiatres – ou du travail en réseau – pour les sage-femmes – dans son activité professionnelle. Nous partageons dès lors le constat fait par Libois et Loser (2010) de collaborations aujourd’hui compliquées par un paradoxe: des professionnel∙le∙s de champs divers – travail social, santé, éducation, intégration – sont appelé∙e∙s à travailler de manière collaborative et articulée en vue d’appréhender les situations dans leur complexité, sans que les frontières et les complémentarités de leurs rôles soient clairement délimitées, et dans un contexte où il s’agit de concilier son implication dans le travail en réseau avec des exigences professionnelles et institutionnelles propres. La faible interconnaissance relevée au sein du réseau complique la donne, et questionne quant à l’accès des parents aux offres dont ils pourraient avoir besoin. La recherche montre en effet l’importance de la connaissance de l’offre non seulement par les parents, mais aussi par les professionnel∙le∙s susceptibles de les y orienter, en vue de favoriser son accessibilité
(Moran et al., 2004). Enfin, le sentiment partagé par les répondantes et répondants des diverses instances d’être insuffisamment reconnus dans l’action de soutien à la parentalité mise en œuvre vient également compliquer le fonctionnement en réseau. La reconnaissance réciproque, au niveau interindividuel mais également interinstitutionnel, est en effet un moteur essentiel avéré à l’instauration de collaborations sur le terrain (Dumoulin et al., 2021).
8 Conclusion
Notre recherche souligne combien, au sein du canton romand exploré, les diverses instances du soutien à la parentalité cherchent à assurer une complémentarité de leurs actions. Dans la logique bottom up qui y caractérise le développement des mesures de soutien à la parentalité, les pratiques de collaboration et de coordination sont développées au niveau du terrain. Il en résulte des limites dans l’articulation des actions, malgré une préoccupation à ce propos partagée par l’ensemble des répondant∙e∙s rencontré∙e∙s. En vue de permettre une meilleure atteinte des parents et une couverture optimale de leurs besoins, l’articulation des actions de soutien à la parentalité paraît ainsi à renforcer au sein du canton. Par contre, l’idée que ce serait aux politiques de le faire semble peu porteuse. Les responsables associatifs comme étatiques se montrent réticents à une telle idée, soucieux d’entretenir les qualités d’initiative, d’adaptation, de réactivité et de proximité des publics et de leurs besoins qu’ils associent à la dynamique bottom up. Et l’on peut en effet s’interroger si une démarche d’articulation imposée par le haut ne serait pas une entrave à une logique de gouvernance citoyenne (Mossé et al., 2008), dans laquelle les instances non étatiques jouent un rôle d’innovation sociale en amenant les politiques publiques à s’intéresser à des besoins qui ne sont pas toujours pris en compte (Petrella & Richez-Battesti, 2012).
Il s’agit néanmoins de réfléchir à comment favoriser un développement davantage coordonné de ces innovations nées du terrain. Selon nous, les instances étatiques pourraient y contribuer en garantissant un environnement institutionnel favorable qui: 1) évite de mettre en concurrence les instances associatives, en privilégiant un mode de financement pérenne; 2) soutienne le travail nécessaire à une complémentarité interdisciplinaire renforcée et à un socle de principes communs; 3) offre des espaces où développer l’interconnaissance indispensable à la collaboration, évitant un «fonctionnement en silos» (ASSTSINT), entre instances associatives, étatiques et libérales.
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Notes biographiques
Xavier Conus, maître d’enseignement et de re- cherche, Département des sciences de l’éducation et de la formation, Université de Fribourg, xavier.conus@unifr.ch